ALICOM 99/16





Conférence sur le commerce international des denrées alimentaires
au-delà de l'an 2000: Décisions fondées sur des données
scientifiques, harmonisation, équivalence
et reconnaissance mutuelle
Melbourne, Australie, 11-15 octobre 1999

Perspectives d'avenir: Nutrition, environnement et
production alimentaire durable - Modifications des
usages culturels et des habitudes des consommateurs

par

W. Bruce Traill, professeur en gestion et commercialisation des denrées alimentaires, Université de Reading, Royaume-Uni


Table des Matières


I. Introduction

1. Le niveau de développement économique d'un pays contribue de façon fondamentale à déterminer quels types de denrées alimentaires ses habitants ont les moyens de choisir et, donc, quels types de produits sont fournis, comment ils sont emballés, promus et distribués par les agriculteurs, les fabricants, les grossistes et les détaillants. Quand son niveau de revenu est faible, la population se soucie principalement de sa survie, et l'infrastructure de commercialisation des denrées alimentaires est peu développée; les plats préparés, les aliments biologiques et les produits obtenus sans souffrance pour les animaux font l'objet d'une faible demande. L'augmentation des revenus se traduit par un glissement de la consommation de féculents vers celle de biens « de luxe » comme le sucre et la viande. Dans une série d'articles sur la géographie de la consommation alimentaire mondiale, Grigg (1992, 1993a, 1993b, 1995, 1996) met en évidence d'une part une forte corrélation positive entre le PIB par habitant et la consommation de protéines animales (qui explique 80 pour cent des variations d'un pays à l'autre), mais d'autre part une corrélation négative entre le PIB et la consommation de protéines végétales; il observe également une corrélation fortement négative entre la proportion de calories fournies par les féculents et le PIB par habitant quand les revenus sont faibles, mais cette proportion se stabilise à approximativement 30 pour cent à partir d'environ 15 000 dollars par habitant. La situation est différente dans les économies occidentales riches, où l'augmentation du revenu se traduit par diverses exigences: « qualité » (que chacun définit à sa façon), commodité, consommation de repas à l'extérieur du foyer, etc.

2. Si le présent rapport prête surtout attention aux consommateurs des pays développés, c'est en partie parce que c'est le secteur que l'auteur connaît le mieux (en particulier pour ce qui est de l'Europe occidentale, d'où provient peut-être de ce fait une trop grande proportion des exemples cités), mais aussi parce que les changements de la consommation aux niveaux très faibles de revenu sont relativement simples et bien connus, alors que les forces qui entraînent une modification de la consommation alimentaire sont plus complexes dans les pays développés modernes, où un magasin de vente au détail peut avoir 20 000 produits différents en stock et en présenter 3 000 nouveaux chaque année. Ces mêmes forces s'exerceront également, à plus ou moins long terme, dans les pays en développement.

3. Le présent document décrit la façon dont les produits alimentaires sont choisis ainsi que les facteurs qui influencent la consommation de denrées alimentaires. Il cherche à établir un lien entre ceux-ci et les tendances actuelles et futures de la consommation de produits alimentaires.

II. Cadre organisationnel pour l'analyse
de la consommation alimentaire

4. Les nombreux modèles de la consommation alimentaire élaborés au fil des ans reflètent généralement les intérêts de leur auteur et le but de ses recherches: par exemple, les économistes s'intéressent principalement aux effets des prix et des revenus au niveau du marché, souvent pour évaluer les répercussions des politiques gouvernementales (p. ex. Impôts et subventions) ou pour mettre au point des stratégies appropriées d'intervention sur le marché (par exemple, en vue d'une stabilisation des prix). Les psychologues s'intéressent à la modélisation des décisions individuelles en matière de choix alimentaire, par exemple en établissant des liens entre l'identification des besoins des consommateurs, la recherche d'information et les mécanismes de choix. Leurs modèles servent aux entreprises désireuses de mettre au point de nouveaux produits et aux gouvernements soucieux de promouvoir une alimentation plus saine. Des sociologues, des anthropologues et des géographes ont tous essayé d'analyser l'importance de la culture et le profil spatial de la consommation de denrées alimentaires. Les spécialistes des études de marché cherchent à définir des groupes de consommateurs présentant un comportement identique en matière d'alimentation et s'efforcent de concevoir, distribuer et promouvoir des produits élaborés en fonction des particularités de secteurs déterminés du marché.

5. Il est impossible de rendre pleinement justice à toutes ces disciplines et aux questions qui les intéressent, et, quoi qu'il en soit, l'auteur n'est pas qualifié pour ce faire; économiste, il s'est aventuré dans la commercialisation, la mise au point de produits et la politique nutritionnelle, mais jamais dans la sociologie ni l'anthropologie. Il est néanmoins possible de proposer un cadre d'analyse de la consommation alimentaire au sein duquel toutes ces disciplines trouvent leur place et sur lequel on peut alors s'appuyer pour se livrer à une réflexion sur certains des futurs développements concernant la consommation de boissons et d'aliments.

6. Le cadre organisationnel est présenté au Graphique 1- mais il convient de prendre en considération d'emblée que certaines des démarcations entre les différents groupes de facteurs qui influent sur la situation sont plutôt plus flous qu'il n'y paraît au vu du graphique. La case centrale montre le processus décisionnel individuel en matière de choix alimentaire, duquel découlent le choix de produits alimentaires déterminés et, en fin de compte, la composition de l'ensemble du régime alimentaire. Ce processus décisionnel subit diverses influences. Premièrement, les propriétés physiologiques et sensorielles (réelles ou perçues comme telles) des denrées alimentaires ont une incidence sur le choix individuel (quelles sont les propriétés nutritionnelles d'un produit donné? Est-il considéré comme sain? a-t-il une bonne odeur, un aspect attrayant?). Les facteurs individuels et personnels contribuent fortement à amener les gens à choisir des denrées alimentaires différentes même s'ils perçoivent leurs propriétés physiologiques et sensorielles de la même façon. Quelqu'un qui souffre d'une surcharge pondérale et suit un régime ne choisit pas les mêmes aliments qu'un athlète; les jeunes et les personnes âgées ont des besoins différents; le choix des aliments (ainsi que le fait de savoir où, quand, en quelle quantité et avec qui ils sont consommés) est influencé par des préoccupations psychologiques telles que les considérations morales relatives à la consommation de viande, l'attitude envers la technologie ou l'importance attachée à l'alimentation dans la vie.

7. Les facteurs socio-démographiques tels que le fait d'habiter à la ville ou à la campagne, le niveau d'éducation, la composition de la famille, etc. sont également importants. Il y en a enfin d'autres, qui sont de nature environnementale, économique, commerciale et culturelle. Les deux premiers sont reliés entre eux: un pays riche possédant un système de commercialisation des denrées alimentaires bien développé offre un choix abondant et les moyens de payer le prix des produits « à valeur ajoutée » (c'est-à-dire chers). Il convient toutefois de continuer à considérer la commercialisation et les facteurs économiques comme des variables distinctes étant donné que l'existence de systèmes de commercialisation différents dans des pays ayant un niveau de développement économique identique peut influencer l'éventail des produits alimentaires disponibles et le choix parmi eux. Le Royaume-Uni et l'Italie ont, par exemple, un niveau économique comparable, mais le système de vente au détail et de fabrication des denrées alimentaires est fortement concentré dans le premier de ces pays alors qu'il est extrêmement fragmenté dans le second. La gamme des produits disponibles est donc beaucoup plus limitée et le taux de mise au point de nouveaux produits beaucoup plus faible en Italie qu'au Royaume-Uni - si bien que les consommateurs britanniques ont davantage de choix. Certains diront peut-être qu'il vaudrait mieux pour ces derniers que le choix soit plus limité et que la qualité soit meilleure!

Figure 1: Modèle conceptuel du comportement des consommateurs relativement à l'alimentation


Undisplayed Graphic

A. LE PROCESSUS DÉCISIONNEL

Identification des besoins

8. On dit qu'un besoin existe quand la situation réelle ne concorde pas avec la situation souhaitée. Certains diraient qu'il s'agit de la faim, mais celle-ci n'est pas le seul besoin que la nourriture satisfait, et l'épuisement des réserves alimentaires du corps n'est pas la seule différence qui peut exister entre la situation réelle et la situation souhaitée (Steenkamp, 1996). Par exemple, on peut identifier le besoin d'un apport énergétique de longue durée avant la participation à un marathon ou celui de consommer des fruits, des légumes, de l'huile d'olive et du vin rouge pour prévenir le cancer et les cardiopathies. L'insatisfaction à l'égard d'un produit existant (résultant d'un écart entre les attentes et la réalité) peut faire apparaître un écart entre la situation réelle et la situation souhaitée.

9. La situation souhaitée peut être influencée par la culture, le mode de vie, des facteurs démographiques (migration en milieu urbain; grossesse), par la découverte d'un produit (la popularité des aliments méditerranéens dans le nord de l'Europe après leur découverte par les touristes) ou par la commercialisation et la publicité.

La recherche d'informations

10. La recherche d'informations - pour trouver diverses options permettant d'éliminer un besoin - a relativement moins d'importance pour les denrées alimentaires que pour des articles plus complexes et plus coûteux tels que les automobiles, les ordinateurs, les postes de télévision ou les maisons (Engel et. al., 1995). Les différences de qualité sont généralement faibles, les innovations relativement mineures, le prix varie généralement peu d'un magasin à l'autre, et le temps dont on dispose pour faire les achats de la semaine avant de devoir faire autre chose ou de commencer à s'ennuyer est strictement limité. Par conséquent, pour la grande majorité de leurs achats, les consommateurs s'appuient sur ce que l'expérience leur a enseigné au sujet des différents produits. Cela ne veut cependant pas dire qu'ils ne veulent pas obtenir de l'information, ni que cette information, comme l'étiquetage nutritionnel, n'influence pas leurs décisions en matière de consommation alimentaire. En fait, en Europe occidentale, on réclame à grands cris l'étiquetage des aliments contenant des produits génétiquement modifiés. Les fabricants et les détaillants ont compris depuis longtemps que leurs ventes augmentent quand ils fournissent des renseignements sélectionnés sur certains produits (en leur attribuant souvent, lorsque la réglementation le permet, des vertus médicinales ou diététiques - « ce produit peut réduire le risque de maladie cardio-vasculaire » - ou, lorsque de telles affirmations ne sont pas autorisées, en vantant leur valeur nutritive ou en évoquant implicitement leurs effets bénéfiques pour la santé - « à forte teneur en son d'avoine »; « haute valeur énergétique » (NCC, 1997).

11. C'est parce que les consommateurs ne sont pas prêts à consacrer beaucoup de temps à la recherche d'informations au sujet de chaque produit alimentaire qu'ils veulent un étiquetage simple auquel ils puissent se fier. Par exemple, si on peut se fier à une étiquette nutritionnelle toujours présentée de la même façon, il faut moins de temps pour interpréter son contenu et en tirer des conclusions. Un symbole universellement reconnu indiquant qu'un aliment a été irradié ou contient des ingrédients génétiquement modifiés évite au consommateur préoccupé par ces questions d'avoir à lire chaque étiquette pour y trouver cette information.

12. Des problèmes se posent lorsque les consommateurs d'un pays exigent d'autres renseignements que ceux d'un autre pays ou lorsque les gouvernements adoptent des façons différentes de présenter l'information. Les consommateurs américains ne semblent pas se soucier des modifications génétiques et ne désirent donc pas que l'étiquette en fasse mention, alors que les consommateurs européens jugent cela important et exigent donc d'être informés. Le résultat (des systèmes différents dans chaque pays) est-il une entrave au libre-échange ou une prise en compte des exigences variées des consommateurs en matière d'information?

13. Des problèmes se posent également lorsque les législateurs d'un pays adoptent un système (par exemple, l'étiquetage nutritionnel) qui leur paraît être « le meilleur » (et qui l'est peut-être pour leurs propres consommateurs), mais qui diffère des systèmes adoptés dans d'autres pays (que ceux-ci considèrent également comme « les meilleurs »). Les consommateurs désirant un système d'étiquetage uniforme, les pouvoirs publics doivent faire quelque chose, mais les tentatives visant de ce fait à exiger que les produits importés soient conformes à la législation nationale sur l'étiquetage peuvent être interprétées (parfois à juste titre) comme une barrière commerciale.

14. C'est aussi en partie parce que les consommateurs ne sont pas prêts à consacrer beaucoup de temps à la recherche d'informations sur les produits qu'ils veulent que quelqu'un d'autre (généralement les pouvoirs publics, parfois les détaillants) veille à la salubrité des aliments. Pourquoi, par exemple, chaque consommateur devrait-il se sentir tenu de tout savoir sur le seuil d'innocuité de l'énorme gamme de contaminants chimiques présents dans les aliments quand cette tâche peut être déléguée aux législateurs? Les consommateurs s'attendent à ce que les produits qu'ils achètent soient sains (leurs attentes concernant l'absence totale de risques sont même parfois déraisonnables), si bien que quand ils sont parfois pris en défaut (par exemple, la salmonelle dans les _ufs ou la maladie de la vache folle -au Royaume-Uni dans les deux cas), ils réagissent de façon excessive et exigent un renforcement du contrôle législatif - sous une forme qui pourrait à nouveau constituer une barrière commerciale. Un autre problème est que les consommateurs de différents pays peuvent se montrer plus ou moins tolérants relativement aux questions touchant la salubrité. Les Français semblent prêts à accepter le risque plus élevé de listériose qu'entraîne la consommation de fromage à pâte molle non pasteurisé, mais pas les Américains. Quelle est la solution: l'étiquetage ou un accord international?

Évaluation des options

15. Il y a un nombre immense de publications portant sur les critères d'évaluation utilisés par les consommateurs. Les plus simples sont les différents modèles basés sur l'hypothèse que les consommateurs considèrent que tout produit alimentaire possède un certain nombre de caractéristiques. Par exemple, des bières différentes peuvent se distinguer par leur teneur en alcool, leur amertume (et probablement d'autres caractéristiques gustatives), leur couleur, leur emballage, leur publicité, leur lieu de vente et leur prix. Des consommateurs différents attachent une importance différente à ces caractéristiques, et leurs choix sont donc différents. C'est parce qu'il recherche la diversité qu'un consommateur ne fait pas toujours le même choix.

16. Certains caractéristiques sont propres à un produit donné, comme ceux évoqués ci-dessus pour la bière, la proportion de graisse dans la viande ou l'impression de fraîcheur que donnent des fruits ou des légumes. D'autres sont plus génériques et sont peut-être des éléments qui régissent l'ensemble du comportement des consommateurs. Le tableau 1 présente les résultats d'une enquête réalisée auprès de consommateurs dans sept pays européens au sujet de l'importance d'une série de caractéristiques relativement au choix d'un produit (pas seulement de nature alimentaire). On constate souvent une divergence entre ce que les consommateurs disent juger important et leur comportement comme acheteurs, mais ces résultats sont néanmoins riches d'enseignements.

17. C'est la qualité, ce concept vagues, qui vient en tête, suivie de près par le prix. Les marques constituent une forme de garantie pour les consommateurs, mais, dans le domaine de l'alimentation, d'autres garanties de la qualité d'un produit acquièrent manifestement de l'importance, notamment la désignation de l'origine géographique ou d'autres garanties de qualité, comme les produits carnés garantis fermiers.

Tableau 1. Importance relative de divers attributs pour le choix d'un produit

 

Belgique

Espagne

France

R.-U.

Italie

Pays-Bas

Allemagne

Total

Qualité du produit

25,5

28,1

20,7

19,1

26,6

23,1

30,8

25,1

Prix

19,6

16,0

16,7

15,6

13,1

14,8

18,8

16,5

Marque/ réputation

12,7

11,3

12,8

21,9

15,9

13,8

10,7

14,4

Fraîcheur

14,2

5,4

10,3

9,4

9,2

13,1

10,3

9,4

Garantie

6,3

13,7

7,8

12,1

7,3

9,0

8,5

9,4

Habitude

5,9

3,5

6,8

2,0

7,3

4,2

1,7

4,1

Innocuité

4,4

5,1

4,6

2,0

5,3

7,6

4,3

4,1

Choix entre plusieurs tailles

1,5

3,9

4,3

4,7

2,4

1,7

2,1

3,3

Facilité d'utilisation

3,4

2,0

3,6

3,1

2,4

3,1

3,4

2,9

Possibilité de faire une sélection

1,5

2,7

2,5

2,3

2,9

1,7

2,1

2,5

Apparence

1,5

2,0

2,8

3,1

1,9

2,1

2,6

2,5

Commodité de l'emballage

1,0

2,0

1,8

1,6

2,4

2,4

1,7

2,1

Emballage en bon état

1,0

2,3

2,1

2,3

1,4

1,7

1,7

2,1

Existence de plusieurs marques

1,5

2,0

3,2

0,8

1,9

1,7

1,3

1,6

 

100

100

100

100

100

100

100

100

Source: AGB/Europanel 1992.

18. L'origine géographique de certains produits est perçue par les consommateurs comme une indication de leur qualité. Par exemple, les vins européens sont depuis longtemps assujettis à un contrôle géographique dans le cadre du système des appellations d'origine contrôlée et de ses équivalents; il en va de même des fromages. La législation européenne autorise depuis peu une gamme plus vaste de produits à revendiquer le « droit exclusif » d'utiliser un nom comme « pâté des Ardennes » ou « jambon de Parme » en vertu de leur origine géographique (ce qui ne s'applique pas aux produits devenus génériques comme le fromage cheddar), ce qui est un précieux outil de commercialisation, mais peut également faire obstacle à la concurrence aux niveaux national et international. Les affrontements concernant le fromage feta en Europe l'ont clairement montré - il est hors de doute que si la Grèce avait pu s'approprier à nouveau son nom, les consommateurs auraient dû le payer plus cher. On peut se demander si la qualité objective des produits serait bien différente (mais on pourrait avancer qu'on ne courrait plus le risque d'acheter un produit de mauvaise qualité identique, en apparence, à l'original et dont seule la dégustation peut révéler l'infériorité), mais il peut être utile aux consommateurs de savoir que le produit qu'ils consomment est « authentique ».

19. Un partisan du libre marché résoudrait le dilemme en offrant un choix aux consommateurs au moyen d'un étiquetage indiquant le pays (ou la région) d'origine, mais, de nos jours, la quantité de denrées alimentaires (non étiquetées) consommée en dehors du foyer ne cesse de croître, et cette solution peut paraître inappropriée. Les législateurs sont confrontés à la difficile tâche de concilier les exigences et les droits des producteurs et des consommateurs nationaux et étrangers, mais ils ont tendance - et c'est peut-être naturel - à faire pencher la balance en faveur des producteurs nationaux. Les organismes internationaux sont seuls à pouvoir évaluer objectivement les besoins de tous les acteurs. Des conflits opposeront naturellement les pays d'où viennent certains produits associés à leur nom dans le monde entier (surtout des pays d'Europe, mais également l'Argentine pour le b_uf, le Kenya pour le café, l'Inde pour le thé, l'Australie pour le vin) et ceux (souvent les pays en développement) qui n'ont pas cet avantage mais désirent se tailler une place dans un nouveau.

20. Les programmes de garantie des produits fermiers deviennent populaires en Europe, surtout pour le b_uf du fait de la maladie de la vache folle. Ils reposent généralement sur des accords entre les détaillants, les fabricants et les agriculteurs et incluent toute une gamme de « caractéristiques génératrices de confiance » - appréciées par les consommateurs de produits alimentaires, mais qu'on ne peut pas objectivement déceler dans le produit (par exemple, le fait de savoir si un animal n'a pas été maltraité ou si les méthodes agricoles employées étaient écologiques). Les accords peuvent porter sur le taux de charge, le régime alimentaire, le transport des animaux sur pied, les procédures d'abattage, etc. Ces produits, habituellement vendus sous une marque de distributeur, contribuent à l'image globale du magasin et permettent à celui-ci d'offrir à ses clients des options variées en matière de prix et de qualité. Les consommateurs ont effectivement l'assurance que le produit qu'ils achètent possède des caractéristiques qu'ils apprécient, même s'ils sont eux-mêmes incapables de les déceler.

21. Les caractéristiques recherchées qui présentent une élasticité-revenu élevée de la demande (ou qui ont des liens d'autre nature avec le revenu) sont notamment la production biologique, la faible teneur en matières grasses ou en calories (produits allégés), l'innocuité, la fonctionnalité, la commodité d'emploi, la fraîcheur (par exemple, fruits et aliments réfrigérés), le respect de l'environnement (y compris le recyclage) ou du bien-être des animaux et l'absence d'additifs (y compris les ingrédients génétiquement modifiés). Il faudra que les pays en développement instaurent des systèmes leur permettant de produire et de vendre précisément des produits possédant ces caractéristiques s'ils veulent pouvoir se faire une place sur le marché des denrées alimentaires dans les pays développés. Leurs propres consommateurs, en particulier ceux des couches aisées, exigeront également de plus en plus de tels produits.

22. On commence à reconnaître internationalement la garantie qu'offre le système d'analyses des risques au point critique (HACCP). Il s'agit principalement d'une garantie de l'innocuité des aliments qu'utilisent les détaillants (ou les fabricants) pour s'assurer que leurs fournisseurs leur permettent de satisfaire les attentes des consommateurs et les exigences des gouvernements en matière de réglementation. Les fournisseurs des pays en développement devront prendre cette exigence en considération pour pouvoir commercer avec le monde développé.

23. Les modèles de choix alimentaire basés sur les caractéristiques restent les plus courants, mais deux autres, basés respectivement sur l'analyse des fins et des moyens et sur le mode de vie, méritent d'être signalés. Selon le premier, les consommateurs n'achètent pas des produits alimentaires en fonction de leurs caractéristiques eux-mêmes, mais des conséquences de ceux-ci et de leur contribution à l'atteinte des valeurs les plus importantes pour eux. Par exemple, une conséquence de la consommation de denrées alimentaires ayant pour caractéristique d'être prêtes à consommer est le gain de temps; l'impression qui résulte de la consommation d'aliments organiques peut être qu'ils sont plus sains, ont meilleur goût ou contribuent à la protection de l'environnement, et, dans le cas de la viande de b_uf de qualité garantie, qu'elle a meilleur goût. D'après cette théorie, les conséquences sont importantes si elles contribuent à l'atteinte des valeurs primordiales pour les consommateurs comme la sécurité, les valeurs familiales, le plaisir et l'agrément, la reconnaissance sociale. Les consommateurs sont guidés par ces valeurs relativement stables, qui varient selon les gens et les cultures. De grandes entreprises (par exemple, Unilever) se fondent maintenant sur ce modèle pour élaborer de nouveaux produits, cibler des groupes de consommateurs qui partagent des valeurs identiques (et qui perçoivent des liens identiques entre les qualités distinctives, les conséquences et les valeurs) et orienter leurs messages promotionnels (en Europe occidentale, la publicité pour les denrées alimentaires et les boissons, de plus en plus axée sur le mode de vie, montre comment un produit contribuera à des valeurs jugées très importantes pour les consommateurs telles que le bonheur en famille, les prouesses sexuelles ou la célébrité et la richesse).

24. Le modèle axé sur le mode de vie, très semblable au précédent, prend pour hypothèse que les consommateurs choisissent une alimentation compatible avec le mode de vie qu'ils ont choisi, qui est bien entendu lui aussi influencé par des valeurs (Grunert, et al, 1993). Faire les courses, manger au restaurant et faire la cuisine, tout cela fait partie du mode de vie. Le tableau 2 présente cinq modes de vie examinés en Europe lors d'une enquête et leurs caractéristiques. Le regroupement de consommateurs en fonction de leur mode de vie est considéré plus approprié que les techniques traditionnelles de segmentation socio-démographique. Par exemple, d'après l'organisme d'information sur le marché Mintel, les consommateurs de Londres, Paris et Milan ont plus de points communs entre eux qu'avec leurs propres compatriotes. Les entreprises s'efforcent d'identifier de tels groupes internationaux de consommateurs ayant un mode de vie identique pour cibler sur eux des produits et des stratégies de consommation identiques.

Tableau 2: Description de cinq types de mode de vie paneuropéens

 

Hédonistes

Élitistes modérés

Néo
tradition-nalistes

Tradition-nalistes

Curieux

Taille/
population

26,9%

15,9%

15%

30,4%

11,8%

Identification

Jeunes ou d'âge moyen; citadins; revenu moyen

Entre 35 et 64 ans; bon niveau d'éducation; revenu élevé

Jeunes couples de revenu moyen

Entre 45 et 64 ans; classe moyenne

Jeunes gens; niveau d'études élevées

Motivations

L'argent est fait pour être dépensé

Les droits civils; la moralité

La famille; les enfants; le confort

L'ordre; la famille, les valeurs morales

Un monde meilleur et plus juste

Attitudes

Individualistes et innovateurs

Conformistes

Matérialistes

Conservateurs

Élitistes

Priorité en matière de dépenses

Apparence et plaisir

Produits de haut de gamme [investissements financiers, etc.]

Confort [la maison, etc.]

Produits de base

Culture et loisirs; produits de luxe

Principaux intérêts

Le plaisir

La culture

Le bonheur

La maison et la famille

La culture

Mode d'alimentation

Rapidité; innovation; exotisme

Produits pour connaisseurs; aliments de haute qualité

Alimentation moderne/ traditionnelle

Alimentation traditionnelle, structurée, préparée à la maison

Qualité; variété; commodité

Boissons

Boissons alcoolisées; eau minérale; boissons gazeuses

Bons vins

Modération

Quantités non excessives

Vaste assortiment de boissons alcoolisées

Magasins fréquentés

Les plus pratiques [supermarchés, centres commerciaux]

Petits magasins spécialisés

Magasins modernes; bon service à la clientèle

Supermarchés; magasins locaux

Magasins de qualité; achats sans complications

Incitatifs commerciaux

Choix; originalité; emballage attrayant

Marque; qualité

Confiance dans les marques

Réaliser une bonne affaire

Choix; bon rapport qualité/prix

Médias

Divertissement, mode

Émissions traditionnelles

Rêves et questions pratiques

Télévision et spectacles

Actualités; spectacles

Publicité

Stéréotypes culturels [rêve américain, etc.]

Prestige et information

Famille modèle

Messages simples, personnalisés

Marque; créativité

Source: AGB/Europanel 1992

25. Rien ne prouve encore que tous ces modèles permettent de prévoir avec précision le comportement réel des consommateurs de denrées alimentaires. On peut bien élaborer des hypothèses postulant que les « hédonistes » mangent plus souvent au restaurant que les « traditionnalistes » et peut-être même qu'ils mangent moins de viande, mais il reste à démontrer qu'un modèle traditionnel de la consommation basé sur les prix, les revenus et les caractéristiques démographiques ne permettrait pas de faire des prévisions aussi justes. Les modèles basés sur le mode de vie et les valeurs sont peut-être plus utiles pour peaufiner la promotion, la distribution et l'emballage dans le cadre d'un programme de commercialisation que pour prévoir les modalités de consommation de différents produits alimentaires.

26. En fait, à cause de divers facteurs, dont l'habitude n'est pas le moindre, le lien entre l'évaluation des aliments par les consommateurs et leurs choix alimentaires n'est pas très net (par exemple, même si la plupart des denrées alimentaires sont maintenant disponibles tout au long de l'année dans les pays développés, la consommation de fraises est beaucoup plus élevées pendant la saison locale de croissance que durant les autres périodes de l'année (Traill et Righelato, 1996), et la consommation de dinde est faible en dehors de la période de Noël bien que ce soit un produit nutritif bon marché, disponible pendant toute l'année (Steenkamp, 1996)). C'est également par souci de variété que les consommateurs ne choisissent pas tout le temps leurs aliments favoris (van Trijp et. al., 1996).

B. PROPRIÉTÉS DES DENRÉES ALIMENTAIRES

27. Les facteurs physiologiques (par exemple la faim) et les propriétés sensorielles (par exemple, le goût et l'apparence) sont des déterminants importants des choix individuels en matière de consommation de denrées alimentaires. Les protéines produisent un effet de saturation plus élevé que des hydrates de carbone ou des matières grasses de même valeur calorique, et celui de l'alcool est minime. En général, les animaux (y compris les êtres humains) tolèrent mieux l'excès d'énergie que sa carence (Rogers et Blundell, 1990), stratégie qui est bonne pour l'évolution, mais favorise l'obésité dans les États occidentaux modernes, où la nourriture et l'alcool sont bon marché. Dans la mesure où la tentation de consommer trop est liée à la séduction exercée par la diversité des denrées alimentaires auxquelles les consommateurs des pays développés ont accès, il ne fait guère de doute que, par suite du développement économique, l'obésité deviendra plus fréquente ailleurs, même si les leçons apprises par le monde occidental pourront être mises à profit (l'importance de l'activité physique pour éviter les augmentations de poids, le rôle de l'éducation, de l'activité physique et du régime alimentaire pour contrer l'essor des maladies coronariennes).

C. FACTEURS HUMAINS

28. Nous avons déjà discuté de nombre des facteurs de nature individuelle qui influencent le comportement de chacun en matière de consommation alimentaire, comme le mode de vie, le système de valeurs, la recherche de la qualité et le souci de la préservation de l'environnement. Comme certains d'entre eux dépendent de la culture, nous les examinerons plus loin. Il convient en outre de mentionner des facteurs socio-démographiques tels que l'âge, le sexe, la situation professionnelle (des deux conjoints), l'éducation et la taille de la famille. Maintenant que les familles deviennent plus petites et que les deux conjoints travaillent, le désir de gagner du temps influence fortement le comportement en matière de consommation alimentaire, si bien qu'on constate une tendance, qui paraît s'accentuer sans cesse, à utiliser des plats à emporter, prêts à consommer ou semi-cuisinés et à manger à l'extérieur du foyer. Nul ne sait dans quelle mesure les aliments consommés à l'extérieur diffèrent, d'un point de vue nutritionnel ou autre, de ceux qui sont consommés à la maison. Il est assez paradoxal que les consommateurs veuillent de plus en plus exercer un contrôle sur ce qu'ils mangent en exigeant une information plus complète (par le biais de l'étiquetage) sur la composition nutritionnelle, le respect de l'environnement et du bien-être des animaux, l'absence de divers ingrédients, notamment ceux qui sont génétiquement modifiés, ou se tournent vers les marques qui leur fournissent une garantie de salubrité et de qualité, alors qu'ils s'alimentent de plus en plus dans des restaurants, des cantines, etc., où ils ne savent guère ce qu'on leur sert et ne peuvent guère le contrôler.

D. FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX

29. Nous avons parlé du processus de choix en matière d'alimentation et des idées modernes concernant les modalités et la motivation de certains de ces choix selon les valeurs et le mode de vie, mais le fait est que les facteurs économiques (principalement le revenu) et culturels (le pays ou la région de naissance) déterminent dans une énorme mesure la consommation de denrées alimentaires. On ne peut pas dissocier totalement ces deux facteurs: par exemple, une culture qui accorde du prix à la liberté et à l'individualité a plus de chances d'avoir un système économique libéral tolérant l'existence de grands fabricants et détaillants de produits alimentaires (qui influencent fortement ce que nous mangeons) qu'une qui privilégie la responsabilité collective; quelqu'un qui a un revenu élevé voyage à l'étranger, ce qui le sensibilise aux aliments d'autres cultures, lui donne envie de les consommer et sape (ou affaiblit) sa propre culture culinaire.

Facteurs économiques

30. L'influence des facteurs économiques s'étend à tous les aspects de la consommation alimentaire. Ils ont une incidence sur ce qu'on a les moyens d'acheter, le mode de vie qu'on peut se permettre, les magasins qu'on fréquente (sans une automobile, il est difficile de se rendre dans un hypermarché de banlieue), quels appareils ménagers - four à micro-ondes, congélateur, etc. - on possède (et donc quels aliments pré-cuisinés on achète) et le niveau d'éducation qu'on a atteint (auquel sont liées les attitudes envers l'environnement, les aliments biologiques, la biotechnologie, etc.).

31. La corrélation la plus connue est celle qui existe entre le revenu et la part de celui-ci consacrée aux achats alimentaires, corrélation négative selon la loi d'Engel. (Figure 2).

Figure 2.
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Source : Steenkamp, 1996

32. Cette loi est valable à l'intérieur d'un pays (dans une même société, les pauvres consacrent une proportion plus importante de leur revenu à l'alimentation que les riches) et au niveau global (les pays pauvres consacrent une part plus importante de leur PIB à l'alimentation que les pays riches - cette proportion est d'environ 10 pour cent aux États-Unis, mais peut dépasser 50 pour cent dans les pays très pauvres).

33. Même si la part des dépenses consacrées à l'alimentation est inversement proportionnelle au revenu, le total de ces dépenses par habitant augmente quand le revenu par habitant augmente, les gens se tournant vers des produits de prix plus élevé. La figure 3 montre à partir de quels niveaux de revenu Unilever modifie l'assortiment de produits proposé dans un pays.

Figure 3: Seuils critiques (PIB par habitant) pour différents types de denrées alimentaires

34. Indiquer que la proportion du revenu consacrée à l'alimentation diminue quand le revenu augmente revient à dire que l'élasticité-revenu globale de la demande de produits alimentaires est inférieure à un ou inélastique. Par ailleurs, quand le revenu augmente, les gens deviennent moins sensibles au prix - l'élasticité-prix de la demande se rapproche de zéro. Le tableau 3 montre que, pour divers produits alimentaires, l'élasticité-prix est moins grande au Royaume-Uni qu'en Espagne, où le revenu est moins élevé.

Tableau 3: Élasticités-prix compensées en Espagne et au Royaume-Uni, 1996

 

Espagne

Royaume-Uni

Céréales

-0,31

-0,11

Viande

--0,31

-0,06

Poisson

-0,61

-0,37

Lait-_ufs

-0,46

-0,07

Fruits-légumes

-0,29

-0,07

Matières grasses-huiles

-0,20

-0,07

35. Cela veut dire que les réductions de prix résultant d'une nouvelle politique de soutien agricole instaurée dans les économies occidentales en application des accords GATT/OMC ont aujourd'hui une incidence relativement faible sur la consommation de denrées alimentaires, tout au moins au niveau des différentes catégories de produits - des substitutions peuvent néanmoins en résulter à un niveau moins global, par exemple entre les différents types de viande lorsque l'élasticité-prix et l'élasticité-prix croisée sont élevés.

36. Naturellement, il découle des indications ci-dessus que, bien que l'élasticité-revenu et l'élasticité-prix proprement dites soient peut-être faibles dans les pays riches pour les produits alimentaires, les élasticités concernant les activités qui ajoutent à leur valeur sont beaucoup plus élevées. En d'autres termes, au fur et à mesure que les revenus des consommateurs augmentent, ces derniers sont prêts à payer davantage pour les éléments de la consommation alimentaire que sont l'emballage, la transformation et le service. C'est une des raisons pour lesquelles les prix de vente au détail varient relativement peu quand les prix à la production augmentent dans une proportion plus importante.

Facteurs culturels

37. Selon Connor (1991), p. 2, « tous les consommateurs sont fondamentalement identiques », au sens où des consommateurs « qui ont les mêmes revenus et les mêmes caractéristiques socio-démographiques semblables, face aux mêmes prix relatifs et en possession des mêmes informations, auront tendance à choisir le même panier ou le même assortiment de marchandises ». Ainsi, les revenus, les prix et les facteurs démographiques européens se rapprochant de ceux de l'Amérique du Nord, une convergence des modes de consommation alimentaire se produira également. Connor montre qu'il existe une forte corrélation entre la consommation d'une série de denrées alimentaires transformées en Europe et leur consommation en Amérique cinq et dix ans auparavant, mais pas avec leur consommation durant la même période. Traill (1996) fait aussi ressortir une convergence entre les modes de consommation alimentaire des pays européens. Hermann et Röder (1995) et Gil et al. (1995), qui appliquent des méthodologies statistiques différentes aux données sur la consommation alimentaire présentées par l'OCDE et les États-Unis, concluent tous deux qu'une convergence se produit, mais, dans le deuxième cas, que son rythme se ralentit.

38. Gil et al. (1995) démontrent toutefois aussi que d'importantes différences subsistent en matière de régime alimentaire: ils utilisent l'analyse en grappes pour diviser les pays de l'Europe occidentale en sept groupes: le Portugal et l'Espagne; la Grèce et l'Italie; le Bénélux, la France, l'Irlande et le Royaume-Uni; l'Autriche, l'Allemagne et les Pays-Bas; la Finlande; le Danemark; la Norvège et la Suède. Ces regroupements n'ont que peu à voir avec le revenu. Il ne faut pas s'attendre à une convergence totale entre les modes de consommation alimentaire de différents pays même s'il en existe une entre les facteurs socio-économiques et démographiques notamment parce que la culture influence fortement le comportement et que la diversité culturelle a pu résister aux pressions exercées par les voyages à l'étranger, les médias internationaux et les télécommunications. « Nous avons la nécessité biologique de consommer un certain nombre de calories et une certaine quantité de liquide, mais cette nécessité ne détermine pas quoi manger ni avec quoi, comment le préparer, quand le manger ni dans quelles circonstances sociales » (Askegaard, 1995). Les sociologues ont étudié les rapports entre, par exemple, la classe sociale et la culture de l'alimentation (Mennell et. al., 1992). Les anthropologues (par exemple Douglas 1982) soulignent le rôle clé de l'alimentation parmi les rites sociaux. Selon leur définition, la culture de l'alimentation est un ordre culinaire dont les caractéristiques sont prévalentes au sein d'un certain groupe de gens défini du niveau micro (la famille) au niveau macro (les pays, les régions, les classes sociales: Askegaard, 1995). Le fait est que la religion est un déterminant important de la consommation de viande, puisque les juifs et les musulmans s'abstiennent de manger du porc, et les hindous, du b_uf. Les pays correspondants ont une consommation de viande plus faible que leur seul PIB le laisserait prévoir (qui explique cependant 66 pour cent des variations de la consommation de viande entre les pays: Grigg, 1995). Les produits alimentaires sont d'importants modes culturels d'expression qu'on utilise pour la communication (Douglas, 1982).

39. Il existe bien, en vérité, d'étroites corrélations entre la personnalité et la nationalité qui sont probablement déterminées par la culture. Par exemple, Hofstede (1984) établit des catégories de personnalité en fonction de quatre critères: i) l'opposition entre l'individualisme et le collectivisme (l'importance relative attachée aux libertés civiles ou à la société), ii) la distance par rapport au pouvoir (tolérance d'une inégalité de pouvoir et de richesse/centralisation de l'autorité), iii) le risque (la mesure dans laquelle les lois, les règles, la religion éliminent les risques) et iv) l'opposition entre la masculinité et la féminité (l'accent mis sur les valeurs masculines que sont la performance, l'agressivité, les signes manifestes de la réussite). Une étude a été faite pour regrouper les pays semblables en se basant sur les réponses à un questionnaire soumis à 116 000 employés d'IBM dans le monde entier. Le tableau 4 montre certains de ces groupes: le groupe anglo-américain, comprend les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande et l'Afrique du Sud; le groupe nordique réunit tous les pays scandinaves; le groupe germanique inclut l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse, et le groupe latino-européen est composé de la France, de l'Espagne, de l'Italie, du Portugal, de la Belgique et de l'Amérique latine. L'impression intuitive est que ces regroupements sont plus logiques que ceux qui sont constitués en fonction de variables économiques et démographiques (par exemple,  Krause et al., 1995) et réunissent les États-Unis, le Japon et la Suède dans le même groupe. Roth (1995) montre que certains facteurs culturels - la distance par rapport au pouvoir et l'individualisme - ont une incidence sur les résultats des stratégies de promotion de l'image de marque des grandes entreprises au même titre que les conditions socio-économiques régionales.

Tableau 4: Caractéristiques des groupes de pays

Groupe

Distance par rapport au pouvoir

Protection contre l'incertitude

Individua-lisme

Masculinité

Anglo-américain

FF

FF

EE

E

Nordique

FF

E

F

F

Germanique

FF

EE

EE

E

Latino-européen

E

EE

E

F

Japonais

E

EE

FF

EE

Extrême-oriental

EE

F

F

M

FF = très faible, F = faible, M = moyen(ne), E = élevé(e), EE = très élevé(e).

Source: Adapté de Hofstede (1985)

40. Cela ne veut nullement dire que le comportement culturel soit fixé à tout jamais: par exemple, dans les pays méditerranéens, les particularités du régime alimentaire s'atténuent, les niveaux d'apport lipidique se rapprochant de ceux des autres pays européens (Serra-Majem et Helsing, 1993), et il a été prouvé que les immigrants adoptent, lentement toutefois, les modes de consommation alimentaire de leurs hôtes (Choe et al. 1993).

41. Étant donné que les consommateurs ne sont pas tous identiques à l'intérieur d'un même pays et que les différences entre les pays sont également importantes, comment envisager la question de la convergence? Le plus raisonnable est de considérer les marchés de consommation qui se constituent au niveau international comme « des groupes d'acheteurs qui partagent le besoin et le désir d'un produit et la capacité d'en payer le prix plutôt que comme ceux qui partagent une frontière commune. Les acheteurs d'une catégorie déterminée ont les mêmes attentes à l'égard d'un produit et manifestent un comportement identique quand ils l'achètent » (Blackwell et al., 1994, p. 221). Dans cette optique, les considérations démographiques et économiques conservent leur importance, mais il en va de même des caractéristiques concernant le profil psychométrique, les attitudes, la culture et le mode de vie.

III. Conclusions

42. La consommation alimentaire apparente totale a augmenté partout au cours des 30 dernières années (Hallam, 1996), mais surtout en Asie, et on peut s'attendre à ce qu'elle continue d'augmenter dans les pays en développement. Un élément plus important est qu'en liaison avec le maintien de la croissance des revenus, la consommation de produits animaux continuera probablement de croître, en particulier en Asie. Les élasticités-revenus sont toutefois maintenant si faibles dans les pays de l'OCDE que peu de nouveaux changements liés au revenu sont prévisibles dans la composition de leur régime alimentaire. Les facteurs liés à la santé peuvent y accroître la consommation de fruits et de légumes, mais, jusqu'à présent, on observe seulement cette évolution aux États-Unis (Hallam, 1996).

43. Il est manifeste qu'avec la convergence des revenus et des systèmes économiques dans le monde entier, en particulier du fait que les pays nouvellement industrialisés deviennent assez riches pour que la qualité des denrées alimentaires y devienne la question prépondérante, les modes de consommation alimentaire vont également converger dans le monde entier, ce à quoi contribuera également le fait que les différences entre les facteurs socio-démographiques (nombre d'enfants, vieillissement de la population, travail des femmes, proportion ruraux/citadins) ont tendance à s'estomper au fur et à mesure des progrès du développement économique. Ce qui précède devrait toutefois montrer clairement que le comportement des consommateurs va s'uniformiser, mais que la convergence sera loin d'être complète - des différences très importantes subsisteront, comme c'est en fait le cas actuellement entre, par exemple, le Japon et les États-Unis. Donc, même si les caractéristiques qui déterminent de nos jours la confiance accordée à la qualité des denrées alimentaires acquerront partout une importance croissante au fur et à mesure de l'augmentation des revenus, la situation qui en résultera variera selon les cultures. Le fait même que les cultures et les habitudes alimentaires européennes restent si différentes bien que les pays soient si proches non seulement géographiquement, mais également pour ce qui est de leur religion, de leur niveau de revenu et de leurs facteurs socio-démographiques, met en évidence qu'à l'échelle du monde, les différences résisteront fortement au développement économique.

44. Le présent rapport n'a pas pour objet d'aborder directement les répercussions commerciales que ces changements pourraient avoir, mais il convient peut-être de dire une dernière chose. Dans le passé, la libéralisation du commerce a été difficile dans l'agriculture parce que les pays désiraient protéger leurs populations rurales (et ménager leurs votes). À l'avenir, les consommateurs attachant de plus en plus d'importance aux caractéristiques qui déterminent la qualité des denrées alimentaires (relativement au prix), en particulier du fait que ces caractéristiques sont elles-mêmes culturellement déterminées, c'est le désir des pays de protéger leurs consommateurs (et de ménager leurs votes) qui fera obstacle à la libéralisation du commerce. Il sera difficile de leur faire accepter des décisions fondées sur des données scientifiques à une époque où la science est une des caractéristiques qu'ils souhaitent le moins voir associées à l'alimentation.

IV. Recommandations

45. Les consommateurs font leurs choix alimentaires de façon complexe et souvent apparemment irrationnelle, mais leurs perceptions, qu'elles soient rationnelles ou non, sont lourdes de conséquences pour les marchés agricoles et alimentaires et pour le commerce des produits concernés. Les pouvoirs publics se tournent donc souvent vers l'éducation et l'information des consommateurs (par exemple l'étiquetage) en prenant pour hypothèse que les consommateurs éduqués et informés font des choix plus raisonnables. C'est peut-être vrai, mais il serait bon également que les producteurs et les autorités soient mieux éduqués et informés au sujet de la façon dont les consommateurs choisissent leurs produits alimentaires. Ils commettront peut-être ainsi moins d'erreurs coûteuses et sauront mieux quels types d'éducation et d'information fournir.

46. De plus, il reste beaucoup à apprendre à propos de la réaction des consommateurs face à différents types d'étiquetage et à l'utilisation qu'ils en font; des recherches plus approfondies sont donc nécessaires dans ce domaine, surtout en ce qui concerne la manière dont la culture influence la demande d'informations, son utilisation et la réaction face à elle. Il est apparemment inévitable que des cultures différentes préfèrent des modes différents de réglementation de la fourniture d'informations. Par conséquent, il est important de chercher à trouver des modalités acceptables au niveau international. À notre avis, un esprit de compromis et de solides recherches constituent des ingrédients essentiels, et nous recommandons qu'on en tienne compte.

47. Les producteurs et les autorités doivent également comprendre que la plupart des consommateurs ne veulent pas prendre le temps de s'informer eux-mêmes à fond au sujet des menus détails des interactions entre le régime alimentaire, la santé et l'environnement, mais préféreraient confier cette tâche aux producteurs, aux autorités et aux chercheurs scientifiques. Malheureusement, ils leur font désormais beaucoup moins confiance et cherchent de plus en plus refuge vers les aliments biologiques et la production locale, ce qui constitue une barrière importante (mais tout à fait légale), au commerce international. Il est essentiel de restaurer cette confiance pour permettre le développement d'un système commercial international dynamique pour les produits agricoles et alimentaires et pour permettre l'acceptation des innovations technologiques qui se font jour constamment (en particulier, mais pas seulement, dans le domaine de la biotechnologie). Nous recommandons de considérer comme principale priorité le « renforcement de la confiance » dans le système agro-alimentaire international.

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